Une vraie mère...
ou presque
L'Histoire
« En trois mois, ma mère a perdu onze points. Elle n’a jamais conduit aussi mal que depuis qu’elle est morte. Il faut dire que j’ai laissé la carte grise à son nom, et j’ai l’excès de vitesse facile. Mais voilà qu’un jour, une lettre de la préfecture la convoque à un stage de récupération de points. C’est alors que Lucie Castagnol, bouillonnante comédienne à la retraite, se jette sur moi avec la ferme intention d’interpréter le rôle de la disparue. »
Irrésistible de drôlerie et d’émotion, l’histoire plus vraie que nature d’un romancier aux prises avec la doublure de sa mère qui, de catastrophes en élans fusionnels, réactive en lui les conflits qu’elle a décidé de résoudre.
Biographie
Didier van Cauwelaert
Romancier, auteur dramatique, scénariste, librettiste, Didier van Cauwelaert cumule depuis ses débuts prix littéraires et succès publics. Souvent qualifié « d’écrivain de la reconstruction », il est l’un des rares romanciers à avoir été adapté au cinéma à Hollywood. Traduit dans une trentaine de langues, il a publié plus de quarante livres, qui ont dépassé les six millions d’exemplaires.
France Bleu - Wendy Bouchard
France Inter - Emmanuel Khérad
RTL - Bernard Lehut
Europe 1 - Philippe Vandel
La genèse du Roman
Lorsque mon père est mort, en 2005, je me suis aussitôt employé à le remettre en vie par écrit. Son parcours, son caractère, sa capacité à transformer les souffrances en joies étaient si romanesques que, pour transmettre son énergie, je n’ai eu qu’à le raconter tel qu’il était. Aussi, dans Le père adopté. mon imagination s’était limitée à remplir quelques zones d’ombre avant ma naissance, à creuser certains silences…
Au départ de ma mère, quatorze ans plus tard, la situation n’avait rien de commun. Je l’avais tellement laissée dans l’ombre de son bouillonnant mari, j’avais tant construit ma personnalité sur lui, absorbant son inventivité, son humour, sa démesure casse-cou, prenant toujours son parti dans les affrontements ponctuels qui émaillaient leur passion, que je l’avais, d’une certaine manière, éclipsée. Dénaturée, en tout cas.
Parce qu’elle avait eu la conviction qu’il fallait m’armer, dès l’enfance, contre l’optimisme forcené de mon père à mon égard, elle s’était sentie obligée d’endosser le rôle de contre-feu, de garde-fou. Bridant ses propres élans, elle s’était appliquée à jouer la pinailleuse, la raisonnable, la doucheuse d’enthousiasme, la terre-à-terre péremptoire, celle qui répétait : « Commence par gagner ta vie avec un vrai métier, avant de vouloir vivre de ta plume ». Défendant ma vocation obstinée en me protégeant de ses conseils de prudence, j’avais mis un point d’honneur à lui donner tort – ce dont elle me féliciterait plus tard en public, du reste, avec une fierté sincère, persuadée que ses critiques et ses mises en garde avaient forgé mon immunité, ma saine résistance aux effets secondaires des louanges et des réserves, des réussites et des revers. Il n’empêche que le pli était pris : j’avais laissé déteindre sur elle ce rôle ingrat auquel elle s’était contrainte. Puis je l’avais tenue un peu à distance de ma carrière, allergique à l’ego maternel qui l’incitait à briller sous les projecteurs que désormais l’on pointait vers moi.
Depuis qu’elle n’était plus là, je ressentais l’impérieux besoin de lui rendre justice. De reconstituer la personnalité complexe qu’elle avait sacrifié au profit de sa famille, de lui redonner sa véritable dimension d’héroïne dont, par instinct de sauvegarde, je l’avais privée. Il était temps de lui consacrer le livre qu’elle avait attendu de son vivant. « Mes amies ne comprennent pas pourquoi tu n’écris pas sur moi », me disait-elle souvent, mine de rien, sur un ton de reproche qui leur était officiellement destiné.
Mais sous quel angle devais-je la « traiter » ? En fait, pour lui être fidèle, pour restaurer sa vraie nature dissimulée sous les autocensures, la pudeur des blessures et les postures du qu’en dira-t-on, il me fallait le décalage d’une situation romanesque. Laquelle m’est tombé dessus un jour à l’improviste, au volant, grâce au flash d’un radar.
Comme je continuais à faire rouler sa voiture sans avoir pris le temps de changer la carte grise, les contraventions avec pertes de points qu’elle s’est mise à recevoir, à titre posthume, m’ont fourni le point de départ de ce roman. Que faire le jour où, au bord du retrait de permis, les services administratifs qui la croyaient toujours vivante la convoqueraient à un stage de récupération de points ? Engager une sosie ?
Il arrive parfois que l’imposture dissipe les faux-semblants, et permette d’éclairer la face cachée d’un être. La comédienne en retraite que j’ai inventée, pour « réincarner » la disparue, m’a offert bien plus que les couleurs décapantes d’une caméléonne qui déborde allègrement du cadre de son emploi. Par son obsession perfectionniste à vouloir, au-delà de l’usurpation d’identité, cerner la vérité du personnage, par son recul aussi bien que par son investissement d’actrice (et son sens de « l’incruste »…), Lucie Castagnol m’a permis de découvrir et de mettre en lumière le vrai visage de la femme dont elle reprenait le rôle, les émotions, les souffrances, les enjeux.
Ce roman n’est pas une psychanalyse, c’est une forme de réparation, au double sens du terme. Un dédommagement autant qu’une remise à neuf. Une restauration de ma mère, dans la joie, l’audace et l’amour, destinée à partager tout le bien qu’elle m’a fait, dès lors que j’ai accepté de la regarder en face par le prisme de la fiction.